Il aura fallu presque un an avant que je réussisse à poser mes mots ici. 6 mois d’angoisse et de peur, 6 mois recul sur les évènements et de préparation à ce que je vais écrire aujourd’hui.
En juillet 2021, j’ai déposé mon dossier de changement de prénom à la mairie de Lille. J’étais serein·e, j’ai apporté beaucoup de preuves et d’attestations (bien plus que ce qu’il ne faut), et la mairie de Lille était réputée pour avoir été formée sur la question, et donc accepter les dossiers facilement et rapidement s’ils étaient correctement constitués (ce qui était le cas du mien).
Quelques jours après avoir déposé mon dossier, un mail :
« Monsieur,
En date du 30 juillet 2021, vous avez déposé un dossier de demande de changement de prénom.
Je vous propose de nous rencontrer le vendredi 13 août prochain à 9h pour en échanger.
Je vous remercierais de bien vouloir me confirmer votre disponibilité. »
J’appelle pour savoir le motif de ce rendez-vous (qui n’est pas une convocation, insistera-t-elle plus tard), mais on ne veut rien me dire. « C’est confidentiel » (retenez bien ce passage). J’envoie un mail, réponse « nous souhaiterions échanger au sujet du dossier que vus avez déposé ». Super précis /s.
Nous informons plusieurs assos de cette prise de rendez-vous qui n’est pas illégale, mais qui est tout à fait hors procédures d’une demande de changement de prénom. L’asso En Trans décide de contacter la mairie, et aussitôt la mairie annule la demande de rendez-vous qu’on m’avait envoyé.
Durant l’été, En Trans + une autre personne demandent (de ce qu’elles nous ont dit) des rendez-vous à la mairie, qui trouve toujours un prétexte pour annuler, car untel est en vacances ou autre.
13 septembre, je reçois de nouveau une demande de rendez-vous, sans qu’En Trans n’ait pu voir les membres de la mairie. Sur conseils de plusieurs associations, je décline le rendez-vous, mais la mairie persiste. Je finis par dire que sans motif clair de rendez-vous, étant en situation de handicap et en reprise d’études, je ne peux pas me déplacer pour quelque chose sur lequel on refuse de me donner des infos.
Aucune réponse.
Le 27 septembre, je reçois une lettre du Tribunal : mon dossier y est, la mairie ne pouvant pas prouver de mon intérêt légitime (pour rappel, la transidentité est reconnu comme un interet légitime). Pour celleux qui ne connaissent pas ces démarches, légalement la mairie doit informer les personnes concernées que leurs dossiers sont renvoyés vers le Tribunal, ce qui n’a absolument jamais fait.
Le Tribunal, avec son grand respect des personnes trans (/s), adresse son courrier à « Madame » au sujet de ma « transsexualité » en disant que les preuves justificatives datant de 2019 ne permettent pas de prouver de l’usage prolongé de mon prénom.
En clair, on me demande de fournir d’autres pièces justificatives, à savoir « attestations professionnelles, abonnements anciens, attestations de vos professeurs… ».
Alors soyons clair·e·s, je suis auto-entrepreneur donc à part m’auto attester, je ne vois pas trop, et j’ai taffé dans des structures où je n’étais pas out car je ne me sentais pas en sécurité.
Pour avoir un abonnement il faut souvent que ça soit au même prénom que celui sur la carte de paiement par exemple.
Et pour ce qui est de mes profs, iels me harcelaient pour la plupart dès que j’ai fait mon coming out au lycée, ou refusaient de changer mon prénom sur les documents non officiels, entrainant une déscolarisation et un retour au placard pendant quelques années.
Désolé.e de vous décevoir hein, mais si on fait une demande de changement de prénom c’est justement pour éviter d’avoir à se manger cette transphobie.
Enfin bref, autant vous dire que je me suis retrouvé.e dans un état catastrophique en pensant que c’est un cauchemar qui n’en finira jamais.
Mais bon, peut être que tu me connais un peu, et que tu sais que je suis de la team « tout cramer » plutôt que de me laisser abattre.
Donc je retourne vers les camarades d’asso (mais pas vers En Trans, dont concrètement on a plus trop de nouvelles depuis plus d’un mois). On se regroupe à 4 assos, et on décide d’écrire 2 lettres, une à Martine Aubry (maire de Lille) et une à Marie-Christine Staniec-Wavrant (adjointe à l’état civil), disant que les associations ont recensé plusieurs personnes ayant eu des difficultés sur leurs dossiers de changement de prénom, et on leur demande un rendez-vous. Le 29 octobre, nous envoyons les lettres, laissant un délais de 3 semaines pour nous répondre.
Bien entendu, nous n’avons jamais eu de réponse.
La fin des 3 semaines approchant, nous apprenons par un contact qu’une association (En Trans) a un rendez-vous prochainement à la mairie. Nous relançons la mairie, demandant à ce que les 4 autres associations et collectifs co-signataires de la lettre soient également conviés. On nous envoie globalement bouler en nous disant qu’iels n’accepteront qu’une seule autre association car il n’y a qu’une seule signature au bas de la lettre (c’est faux, mais passons). Les réunions s’enchainent, on choisit nos représentant·e·s, on prépare tout, on s’informe auprès d’avocats et de membres de la mairie…
Puis on prévient En Trans de la venue de 2 représentant·e·s. Ce à quoi En Trans refuse finalement de venir au rendez-vous.
Les 2 autres personnes décident d’y aller quand même. La réunion se tient quelque chose comme le 1er décembre, avec 6 membres de la mairie, contre 2 personnes trans venues défendre les dossiers. Pendant 2h, ces personnes n’ont pas la parole, sont coupées dès qu’elles essaient de parler, et rabâcher d’élitisme à base de « moi je sais mieux que vous » (oui bien-sûr Jean-Michel cis)
Avant de continuer à raconter à quel point cette réunion était inutile, absurde et violente pour les personnes trans qui y étaient, voici quelques éléments dont je ne me souviens plus trop de la temporalité.
Nous avons appris d’un contact sûr que les dossiers avaient été traités par… l’adjointe aux sports. Petit retour sur les textes lois qui précisent bien (absolument tous) que le dossier de changement de prénom revient à un·e membre de l’état civil OU au tribunal. Les dossiers sont donc sortis de ce cadre pour être traités par Sarah Sabé, sous prétexte qu’elle est directrice de pôle au CHU de Lille.
Autre point, nous avons eu d’autres témoignages de personnes ayant eu le même parcours depuis a peu près la même période que moi (été 2021, donc). Une personne a vu son dossier être envoyé au tribunal car il y aurait une circulaire interdisant aux personnes trans de choisir un deuxième ou troisième prénom qui soit de leur genre assigné (j’y reviens après, mais no stress, c’est du bullshit).
En décembre 2021, la ville de Lille à voté un « plan d’action contre les discriminations envers les personnes LGBT+ » dans lequel on nous promet une exemplarité de l’administration lilloise sur l’inclusion des personnes LGBTQIA+. Plutôt paradoxal.
Après quelques brèves nouvelles d’une ancienne membres d’En Trans (enfin, techniquement) indiquant qu’elle revenait d’un rendez-vous avec le procureur, nous avons appris avec grande surprise que celui-ci demanderait soit disant des photos de nous comme preuves de transition (c’est totalement illégal), et elle n’aurait pas bronché.
Petit point personnel, mais le cumul d’informations grosses et absurdes provenant de cette association, leurs menaces, leur invisibilisation volontaire de la situation, sans compter la transphobie (voir harcèlement) que d’ancien·ne·s membres ont subi de leur part en plus de leur collaboration avec Trans Santé (anciennement la SOFECT) ne me donnent personnellement pas confiance en leurs propos. Je dis personnellement, mais en vrai on est beaucoup, beaucoup, à pas se sentir du tout safe auprès d’elles (j’aurais des 10aine d’anecdotes à raconter alors que je ne les ai quasi jamais vues). Bref je m’arrête là avant qu’on me menace de nouveau de porter plainte.
De mon côté, j’ai décidé de tenter le tout pour le tout en envoyant d’autres pièces au procureur, plus « officielles » (une attestation sur l’honneur ça l’est visiblement pas assez) mais absolument pas anciennes (genre 2021). J’y ait joint mon ancien dossier et une lettre expliquant qu’en temps que personne trans je ne peux pas fournir plus officiel ou plus vieux, et sous entendant que jamais je n’enverrai de photo (et que jamais ça n’a été demandé officiellement, et heureusement).
Bref, revenons-en à notre fameux rendez-vous à la mairie. Donc après s’être tapé du cissplaining à tout bout de champ, est venu la tant attendue question de « mais pourquoi vous convoquez les gens ? ». Leur réponse : « c’est parce que vous dites dans les dossiers que c’est pour transidentité, ça nous arrange pas, on voulait juste demander aux gens de refaire le dossier en disant que c’était pour cause d’usage prolongé ». Motif ultra confidentiel, donc /s.
Des infos sur la fameuse nouvelle circulaire ont été demandées, dans la panique c’était un bafouillement de « ah heu ben on va vous retrouver le numéro, on vous enverra ça ». Sans surprise, 6 mois après on en a toujours pas vu la couleur. De notre côté, on avait fouillé partout et contacté une avocate, aucun texte n’existe sur cette décision de 2eme ou 3eme prénom du genre assigné. Bref, un gros mensonge.
Puis, comble du comble, l’adjointe aux sports à eu le culot de venir pour se justifier elle-même d’avoir traité des dossiers. Bref, la mairie de Lille aime bien s’auto-tirer dans le pieds je crois.
Bien-sûr, les camarades étant allé·e·s à cette réunion sont ressorti·e·s complétement dépité·e·s et épuisé·e·s, avec l’impression de n’avoir avancé sur absolument rien.
Le temps passe et rien n’avance.
Puis le 7 janvier, je reçois un appel de ma mère. Mon changement de prénom est enfin accepté, elle a reçu mes papiers (me demandez pas pourquoi, j’ai jamais donné son adresse, mais bref). Bref, je m’effondre dans la rue. C’est presque 6 mois d’angoisse, d’espoir qui s’estompe de jour en jour, et toute une vie de lutte, pour un petit papier.
Quelques mois après, d’autres personnes avec qui j’étais en contact (dont la personne à qui on a inventé une circulaire) voient leurs dossiers être acceptés.
Malheureusement, ça ne s’arrête pas là, car d’autres cas sont apparus, et nous sommes toujours en quête de trouver ces personnes là pour pouvoir les aider dans leurs démarches. Un refus total du Tribunal a même eu lieu, sans justification. Les dossiers sont renvoyés au Tribunal quasi directement après leur dépôt en mairie. Puis d’autres sont épargné·e·s.
Si tu me connais un peu, tu dois connaître mon non-amour pour Fiertés Lille Pride (si non, rendez sur le post « le jour où les queers ont pris la place des cisgays à Lille »). Mais bon, la Pride arrive, et on s’est dit que c’était nécessaire de mettre en avant cette revendication. Des discours ont été prévus, et Fiertés Lille Pride et En Trans ont tenté de censurer les parties concernant la mairie, sous prétexte qu’il ne c’est jamais rien passé. Avec un coup de pression, la question a vite été réglée et les discours auront bel et bien lieu, nous rappelant tout de même qu’on est bien loin d’avoir des allié·e·s dans la « communauté ».